Chapitre 1 : d’Archid à Galimède
J’adore ces paysages ! Ces rudes et abruptes falaises au bord desquelles viennent se lover amoureusement les vagues de l’océan, de leur union naissant ces sublimes écumes blanches.
Je les ai toujours aimées. D’aussi loin que je me souvienne, le petit garçon que j’étais contemplait les merveilles du monde au travers de ces ondes marines.
J’avais l’habitude de m’assoir en tailleur sur la plage, de fixer l’horizon, et de laisser vagabonder mon imagination fertile.
Je rêvais d’autres mondes, d’autres planètes baignées par les océans, leur ciel occulté par d’immenses volutes de nuages cotonneux d’un blanc immaculé, d’autres peuples aux coutumes étranges et pourtant si familières, d’autres savoirs et pouvoirs que les nôtres.
Depuis des temps immémoriaux, ma famille, native de Tais, cinquième planète orbitant autour de l’étoile double Archid dans la galaxie de Cassiopée, détient la lourde charge de Mage Impérial. Nos connaissances et nos dons sont les plus avancés de notre peuple, et nous devons sans cesse subvenir aux besoins de notre caste et à ceux des habitants de notre planète.
Dès ma naissance je fus conditionné à assumer cette charge, entrainé aux Arts Parallèles, et à la contemplation et la préservation des Œuvres du Grand Architecte.
Combien de fois ai-je été « testé » par mes précepteurs !
Épreuves de Matérialisation, de projection de mon esprit à travers le temps et l’espace, combats sur le plan matériel et dans l’Ether avec certains élémentaux féroces, rien ne m’aura été épargné.
Car tout un chacun, même de haut lignage, ne peut accéder à la connaissance des Choses Cachées. Il faut savoir s’en montrer digne !
Entre deux leçons, j’aimais déambuler parmi les allées des Archives Impériales dont ma tante avait la responsabilité, dévorant tous les ouvrages « interdits » traitant de Magie, de Sciences et de Religion. Il m’a même fallu apprendre d’autres langues pour pouvoir les déchiffrer, et cela n’a pas été sans peine.
C’est ainsi que j’ai pris conscience de l’immensité des Univers Interconnectés et de la petitesse de mon Etre propre.
Plus le temps passait, plus la pression que l’on exerçait sur moi se renforçait, et plus il me tardait d’atteindre ma majorité pour pouvoir quitter ce monde qui m’oppressait, et explorer les vastes étendues des espaces interstellaires par-delà le mur galactique.
J’avais maintes fois exprimé mon désir de partir, mais l’on m’avait fait comprendre que cela ne pouvait se réaliser, car j’étais le seul héritier de mon Ordre, et que tout un peuple attendait de moi que je remplisse au mieux ma charge.
Ainsi, à chaque erreur, à chaque déconvenue, je venais ici, sur cette plage, me réfugier.
Bercé par le ressac des vagues, mon esprit vagabondant entre deux mondes, un jour je me suis endormi, et c’est là qu’elle m’est apparue.
Qu’elle était belle ! Mystérieuse ! Et pourtant si familière ! J’avais l’impression de la connaitre depuis toujours ; je ressentais une si profonde connexion que j’avais l’impression que mes pensées et les siennes ne faisaient qu’un.
Tout mon être vibrait en sa présence, si rayonnante de lumière et de gloire !
Mais où était-elle ? A quelle époque, dans quel monde, dans quelle galaxie vivait-elle ? Le ciel de son univers portait fièrement plusieurs lunes, et les vagues d’un océan calme faisaient onduler sa frêle silhouette. Je n’avais jamais vu pareil environnement et j’étais bien incapable de la localiser, à mon infinie déception.
Les années passèrent, la charge devint de plus en plus pesante, et son image de plus en plus présente à mon esprit.
Lorsque j’atteignis ma majorité, je fus autorisé à partir en voyage d’étude sur Galimède aux confins de notre système solaire.
Autant Tais était un monde dédié au spirituel, autant Galimède était orientée vers la Science et les Technologies. J’étais ravi de pouvoir m’extirper pour un moment de mes obligations, et d’étudier avec leurs meilleurs scientifiques.
A mon arrivée, je trouvais des paysages très différents de ceux que je connaissais. Des villes gigantesques, des véhicules évoluant dans un ciel chargé, des foules immenses se déplaçant dans de longues arcades en un ordre si parfait qu’on aurait dit qu’elles étaient synchronisées entre elles. Et de fait, elles l’étaient.
Les Galimèdens étaient tous connectés à une Intelligence Centrale qui leurs dispensait informations et directives, et surveillait leurs moindres dérives corporelles et spirituelles.
Point de liberté individuelle sur Galimède, mais une conscience collective qui agissait de concert à l’essor de la collectivité.
Mes précepteurs furent sévères avec moi, encore plus que sur Tais, me considérant comme un « sous-être » car je refusais que l’on m’implante le dispositif me connectant au Grand Tout, à l’Intelligence Centrale de la planète.
Plus le temps passait, plus mon désespoir et mon asservissement grandissaient à mesure que mes illusions disparaissaient, et que le souvenir de son visage s’étiolait.
Au décours d’un échange avec le Recteur de l’Académie à laquelle j’étais affecté, je compris que les miens avaient conclu un pacte avec ceux de Galimède. Ils souhaitaient expérimenter sur mon être la fusion entre un développement spirituel à son apogée contrôlé par une intelligence centrale, ne laissant que peu de place aux désirs et aspirations personnels. Une fusion des civilisations et des destinées en quelque sorte.
Lorsque je pris conscience que l’univers dans lequel l’on m’avait envoyé était encore plus coercitif que le mien, un immense désespoir m’envahit, mais le sentiment de révolte qui m’habita fut le plus fort et dès lors je cherchai un moyen de m’extirper de cet environnement hostile et oppressant.
Au hasard de certaines rencontres, je fis la connaissance de Xarath, un scientifique ayant travaillé sur un portail spatio-temporel pour les besoins de la collectivité du Grand Tout. Xarath n’était pas comme les autres Galimédens, son implant étant quelque peu défectueux. Rapidement nous sympathisâmes et je lui fis part de mon désir d’évasion.
A la faveur d’une conjonction astrale millénaire, Xarath décida de m’aider à m’extirper de son monde. Il me conduisit dans son laboratoire afin que je puisse franchir le seuil du temps et de l’espace au travers d’un colossal portail inter-galactique.
Ainsi équipé de ma combinaison spatio-temporelle, je franchis les limites de cet univers froid et sans âme, sans aucun regret.
Une immense sphère d’un noir absolu entouré d’une spirale de flammes ondoyantes m’apparut alors, et tandis qu’une puissance incommensurable m’attirait à elle, je sentis mon être entier se désintégrer fragment par fragment.
Je vis en premier mes membres se déformer et s’allonger à l’infini, et je sentis mon esprit se morceler et se disperser dans toutes les directions de l’espace et du temps. Un court instant j’eus l’impression d’être intimement connecté au Grand Architecte, de tout savoir et de tout ressentir simultanément.
J’étais tout à la fois Azarion de Tais, ma planète natale, et multitude : Urul du Continent d’entre les Océans, Soptekh d’Heliopolis, Blanche d’Autun, Katerina de Prague, et Saul Rackett de Londres.
Cette impression fugace laissa place à une oblitération totale de mon existence lorsque le noir absolu m’envahit.
… A suivre ici : Chapitre 2