Chapitre 3 : La Cité Continent d’entre les Océans
Une fois le portail franchi, je perdis encore une fois connaissance. Lorsque je m’éveillai, mon environnement avait radicalement changé.
Je me trouvai au sein d’une large cavité rocheuse, humide, emplie d’arbres au feuillage pastel, et faiblement éclairée par d’étranges photophores luminescents, dont les murs étaient ornés de fresques mettant en scène des créatures marines et des êtres gigantesques à la silhouette humanoïde parcourant les vastes étendues d’eau à bord de véhicules volants. Les arches de pierre du portail qui m’avait permis de pénétrer en ce monde avaient perdu leur luminescence et le portail s’était maintenant refermé.
Je me sentais quelque peu différent. Au fond de moi je savais qui j’étais, Azarion natif de Tais, mais j’avais accessible à mon entendement de nouvelles connaissances, de nouvelles informations sur le monde dans lequel je me trouvai désormais. J’étais également Urul, Mage impérial de la Cité Continent d’entre les Océans, Atlantis.
Ainsi le savoir et les pouvoirs d’Azarion et ceux d’Urul circulaient dans mon être tout entier, et loin de subir un dédoublement de personnalité, j’avais réalisé la parfaite fusion de deux formes de vies distinctes au sein d’une seule et même entité. Je me sentais particulièrement revivifié par cette nouveauté singulière !
Urul avait prié et réalisé des incantations devant le Portail, appelant et espérant l’aide de Forces Supérieures, et son vœu avait été exaucé, en quelque sorte.
Ce n’était pas un Dieu qui se tenait devant Urul, mais bien moi-même qui m’étais incarné dans une de mes multiples existences par-delà le temps et l’espace.
J’étais Urul, j’étais Azarion, j’étais multitude, tout à la fois !
Je sus qu’il me fallait rapidement sortir de cette salle, et aller m’entretenir avec l’Empereur sur un sujet de la plus haute importance.
Alors que je parcourais les rues de la cité, les souvenirs d’Urul rejaillirent dans mon esprit en fulgurances époustouflantes.
Atlantis était une cité somptueuse. Une cité circulaire dont l’autorité s’exerçait de manière centripète et totalitaire, les communs habitant en périphérie et l’élite impériale et sacerdotale au centre. De vastes systèmes de canaux reliaient les différentes parties de cette gigantesque cité, et les moyens de communications et de déplacement étaient tout simplement prodigieux.
De majestueux navires parcouraient les vastes étendues marines, tandis que de gracieux aéronefs traversaient le ciel en un silence parfait.
Les ressources énergétiques de la cité provenaient d’un étrange cristal qui, préalablement traité et exposé à la lumière du soleil, dispensait une énergie colossale, quel l’on pouvait tout aussi bien utiliser pour chauffer et éclairer les bâtiments, déplacer, transformer et transmuter les matières, propulser les véhicules, mais également malheureusement comme arme de destruction sans nulle autre pareil.
Pas d’Intelligence Centralisée en Atlantis, mais un pouvoir absolu impérial hérité de divins ancêtres venus des étoiles. Les empereurs d’Atlantis avaient le « Sang Bleu » ; de fait, ils étaient des hybrides entre des créatures venues d’autres mondes et la population autochtone de la planète, créés artificiellement par ingénierie génétique, et en gardait quelques marques et attributs, en particulier le taux élevé de cuivre dans leur sang, la marque de noblesse absolue, ainsi que de fabuleux pouvoirs sur la matière et sur les êtres.
Les atlantes priaient le Taureau Sacré et le Dieu des fonds marins Ghatl, entités primordiales également façonnées par les créateurs ancestraux. Ils avaient érigé un vaste système de pyramides toutes interconnectées permettant de collecter et de dispenser l’énergie issue du Cristal Sacré ainsi que l’énergie psychique des fidèles.
Le système d’exercice du pouvoir était particulièrement sévère. En haut de l’échelle sociale, la caste dirigeante : l’Empereur, l’héritier légitime de la lignée ancestrale des créateurs originels, au pouvoir absolu ; l’impératrice, sa divine épouse, également descendante des créateurs, mais dont le sang mêlé ne lui permettait pas l’exercice du pouvoir ; enfin le Mage Impérial, sélectionné parmi tous les être créés de génération en génération comme étant le plus apte à maitriser la puissance du Cristal Sacré.
Si les pouvoirs de l’Empereur et de l’Impératrice étaient sans équivalent, ceux du Mage Impérial avaient peu de chose à leur envier.
Capable de maitriser la puissance du cristal, il pouvait contrôler les éléments, distordre le temps et l’espace et se projeter mentalement vers d’autres mondes, se déplacer physiquement sur de grandes distances en un éclair et matérialiser à loisir tout ce qu’il désirait.
J’étais Urul, le Mage Impérial, et je pouvais faire toutes ces choses-là !
J’avais déjà été contraint par l’empereur à déchainer des torrents de flammes et des tsunamis dévastateurs sur nos ennemis les Muens pour « solutionner définitivement » le conflit qui nous opposait, à mon ineffable horreur, tuant ainsi des millions d’êtres innocents.
Vaut-il mieux tenter de sauver ceux qui nous sont chers et faire périr une civilisation, ou résister à l’aveuglement sanguinaire d’un despote et par la même condamner les nôtres et la totalité de notre peuple ?
Bien évidemment, cela n’eut pas l’effet escompté et le conflit se durcit de manière irrévocable.
La cruauté, l’avidité et la soif de conquête de l’Empereur ne connaissaient aucune limite.
Parcourant les rues de la cité, j’en observai les habitants. Ils semblaient abattus, l’on sentait dans chacun de leur geste le poids de l’autorité impériale qui les paralysait un peu plus chaque jour.
La révolte grondait parmi les citoyens, et certains espéraient pouvoir un jour renverser le pouvoir central, notamment à la faveur d’alliances établies avec nos ennemis les Muens. De nombreux espions et traitres à l’empereur s’étaient établis à la cour impériale, et il fallait être très précautionneux dans les échanges que l’on pouvait avoir, même avec des personnes dites « de confiance ».
Un consortium de conjurés m’avait même demandé audience, me suppliant de me rallier à leur cause, ce que j’avais refusé estimant que la domination par une puissance étrangère n’était pas une solution de libération pour un peuple oppressé.
De plus, le leader ennemi n’était pas plus protecteur envers son peuple que notre propre empereur, aveuglé qu’il était par sa soif de puissance et de domination.
Les Muens rêvaient de s’emparer de notre Cristal Sacré, source de notre puissance et de notre prospérité, et avaient depuis des millénaires cherché par tous les moyens à nous conquérir, fort heureusement sans succès.
Mes mais projections mentales par-delà le voile du réel m’indiquaient une catastrophe imminente, qui prendrait forme en un conflit massif et total entre les peuples, et se solderait par l’éradication de toutes les civilisations de la planète.
J’avais demandé audience à l’Empereur pour lui faire part de cette prédiction, et me dirigeai donc vers le Palais.
Enfin arrivé, je pénétrai dans la salle du Jugement où résidait l’Empereur.
L’Empereur siégeait sur son trône de cristal et d’or, fier, hautain, sa condition et ses origines divines ayant façonné son caractère au cours des lustres passés à exercer un pouvoir absolu.
Il n’écouta même pas ce que j’avais à lui dire, me demandant toujours plus de puissance pour détruire les villes, engloutir les navires de guerre, détruire les ressources de nos ennemis.
Je ne pus lui faire entendre raison. Lui indiquant que son aveuglement conduirait inexorablement à notre perte, il me menaça directement et m’ordonna de lui obéir. Même s’il était l’Empereur, il ne pouvait me détruire facilement, car je contrôlais par ma volonté, mon savoir et mes pouvoirs toute la puissance de la cité. Mais il pouvait faire pression sur mon entourage et torturer et exécuter les miens, ainsi qu’il l’avait déjà fait lorsque j’avais tenté de lui résister ; mon épouse et mes enfants avaient payé de leur vie ma brève rébellion.
Dépité je quittai la salle du Jugement, et demandai une audience à l’Impératrice, pour qu’elle tente de raisonner son divin époux.
Les appartements de l’Impératrice jouxtaient la salle du Jugement.
Là, elle siégeait sur un trône de Lapis Lazuli et d’or, auréolée de la gloire de ces divins ancêtres.
Elle ne se souciait guère des préoccupations de son époux, préférant s’adonner à des jeux cruels et pervers envers la population.
Combien de serviteurs avaient péri pour un simple oubli, un regard direct ou pour avoir osé s’adresser à elle. Elle était redoutable et redoutée de tous.
Elle adorait contempler la peur qu’elle inspirait à autrui, poussant les individus dans leurs derniers retranchements, puis les châtiant sévèrement afin de se délecter de leurs souffrances.
Je n’avais que peu eu l’occasion de la côtoyer et ne lui avais jamais demandé audience, mais la situation imposait des mesures exceptionnelles, et je devais lui faire comprendre l’imminence du péril à venir.
Elle se montra totalement indifférente à la situation et à l’avenir qui se profilait pour tous les peuples de la planète, arguant de son essence divine et de sa quasi-immortalité.
Elle m’ordonna de quitter le palais et de faire ce que l’empereur m’avait demandé.
Lorsque je sortis du palais, j’étais désespéré et désemparé. Je partis me recueillir au sommet de la montagne sacrée, abritant la source du Cristal Sacré, et m’y enfermai.
Mes projections m’indiquaient que l’apocalypse de notre monde était sur le point de débuter. J’évaluais les possibilités et les chances de succès d’un solutionnement définitif : assassinat du couple impérial, ou destruction de la source du pouvoir atlante, le Cristal Sacré.
Il n’était pas possible d’attenter à l’existence du couple impérial, leur nature quasi « divine » les préservant de toute attaque destructrice. Quant à la destruction du Cristal, elle entrainerait la fin du conflit au prix de l’asservissement du peuple atlante par les muens et placerait ainsi un autre tyran au pouvoir. Aucune de ces solutions ne paraissait pertinente.
Il fallait agir, et vite.
Alors que je me focalisais sur les avenirs possibles, le bruit d’une vaste explosion secoua les murs de la caverne dans laquelle je m’étais réfugié.
Je compris, trop tard, que l’Empereur et l’Impératrice avaient décidé de se passer de mes services et avaient initié l’Armageddon sur les Muens.
L’impératrice était une Mage Astrale, aux pouvoirs colossaux, bien plus développés que ceux de l’Empereur lui-même. L’Empereur, bien au fait des penchants pervers de son épouse, l’avait facilement convaincue de sortir de son habituelle léthargie pour déchainer toute sa fureur sur les peuples de l’autre continent, faisant d’elle l’instrument de destruction massive dont il avait besoin.
Ayant, tout comme moi, la capacité de projeter son être là ou elle le désirait, elle cibla les cités de Mu et déchaina un océan de flammes qui détruisit tout sur son passage.
La contre-attaque muenne ne se fit guère attendre, et ils envoyèrent des projectiles sur la cité, détruisant les infrastructures et décimant le peuple. Seule la montagne sacrée fut épargnée, car ils souhaitent pouvoir récupérer la source du pouvoir, le Cristal Sacré.
J’observai, ahuri, ce spectacle épouvantable.
Au sein de la cité, les pertes étaient incommensurables. Hommes, femmes et enfants du peuple avaient péri. Certains de la caste dirigeante et quelques aristocrates trouvèrent refuges dans des abris souterrains, tandis que d’autres embarquaient sur leurs vaisseaux personnels vers un exil définitif.
Après ce bref exode, de notre cité, de nos majestueux navires et aéronefs, de nos voies de communication et de nos pyramides de puissance, plus rien n’existait plus désormais.
L’empereur prit la décision de contre-attaquer en utilisant son arme ultime, hérité de ses ancêtres créateurs et en sommeil depuis des éons, le Dieu Gathl.
Ghatl était une divinité monstrueuse qui dormait dans les profondeurs de l’océan entre les continents. Elle avait été façonnée par les anciens pour contrôler l’esprit des créatures conçues pour les servir en canalisant leurs rêves et leurs cauchemars.
Seul l’empereur avait le pouvoir d’invoquer Gathl, et il le fit.
Une colossale et monstrueuse entité s’éveilla et survola l’océan, provoquant un raz de marée titanesque qui engloutit presque toute la planète en un éclair. Puis il s’empara du couple impérial qui le contemplait, admiratif, enfin s’envola vers le ciel et disparut.
Le monde postapocalyptique qui s’offrait à mes yeux me figea d’effroi.
Plus aucune trace de nos civilisations ; plus d’atlante, plus de muens. L’eau recouvrait presque toute la planète. Ci et là l’on pouvait encore apercevoir la cime des anciennes montagnes atlantes, apparaissant tels de frêles récifs au sein d’un océan sans fin.
Et il en était de même pour les cimes muennes.
Focalisant mon esprit vers l’avenir, je sus que certains nobles et dirigeants avaient survécu et seraient les fondateurs de nouvelles civilisations à venir. Quelques-uns d’entre eux étant des hybrides, le « Sang Bleu » devrait pouvoir perdurer encore quelque peu.
Je n’avais pu éviter le cataclysme, je n’avais donc plus rien à faire en ce monde.
Me dirigeant une ultime fois vers la salle du Portail, j’invoquai la puissance du Cristal et ouvris une brèche à travers l’espace et le temps, dans laquelle je m’engouffrai, me préparant à fusionner une fois encore avec un autre moi, quelque part, à une autre époque.
… A suivre ici : Chapitre 4